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Le don et le contre-don. 1/ Des échanges très actuels

Par Marie Bonici

D’après : Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques (1925), Introduction de Florence Weber, Quadrige/Presses universitaires de France, 2007.

Les notions de « don » et de « contre don » sont souvent utilisées dans le langage courant et dans le travail social en particulier. En général, elles renvoient à l’idée de réciprocité dans l’échange : nous recevons quelque chose en échange de quelque chose que l’on a donné… mais est-ce ce seul aspect que sous-tend le couple « don – contre don » développé par Marcel Mauss ?
Comment l’anthropologue à l’origine des réflexions sur le don a-t-il travaillé et quelle est la portée générale de son étude ? Le système du don peut-il constituer un moyen pour comprendre la société dans son ensemble ?
Cet article propose de présenter l’auteur de l’essai sur le don et de mettre en perspective ses réflexions sur ce système social d’échange dans son contexte historique pour en comprendre l’émergence et la force, toujours d’actualité dans nos sociétés contemporaines.

Marcel Mauss – quelques éléments biographiques

Marcel Mauss (1872-1950) a écrit un essai majeur : Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, paru en 1925. Sociologue et ethnologue français, il a prolongé et enrichi la pensée et le travail de Emile Durkheim (sociologue française, considéré comme un des fondateurs de la sociologie en France).
Il travaille surtout pendant l’entre-deux-guerres : il réalise diverses études sur la religion, la magie, le corps et l’une en particulier concerne l’échange dans les sociétés. C’est ce sur quoi porte son fameux essai sur le don. Cette réflexion est encore d’actualité et notamment en ce qui concerne le travail social.

Essai sur le don – le contexte

Marcel Mauss part de la question de la « cohésion sociale » dans les sociétés : comment est-il possible qu’il n’y ait pas toujours affrontement, crises… mais qu’il y ait plutôt coexistence de groupes, qu’il existe une certaine unité qui fonctionne plutôt bien ?
Et puis, à l’époque de Marcel Mauss, une grande question se pose à propos de « l’évolutionnisme ». La base de cette théorie est que tout dans la nature comme dans la culture va du simple au complexe. On divise alors le monde en deux : celui des « civilisés » d’un côté et celui des « sauvages », « barbares », « primitifs » de l’autre. Au contraire, ce qu’explique Marcel Mauss, c’est que :
1) « il n’existe pas de peuples non civilisés, il n’existe que des peuples de cultures différentes » ;
2) il met en lumière l’historicité de toutes les sociétés (elles ont toutes une histoire) et celles qui ont vécu jusqu’aujourd’hui : leur histoire est aussi longue que la nôtre, elles ont dû résister et changer pour s’adapter même si on ne sait pas comment.
C’est aussi dans ce cadre qu’il s’intéresse à différentes sociétés sans écriture qu’il passe en revue (en Polynésie : chez les Samoa, les Maori ; en Mélanésie ; en Nouvelle Calédonie, etc.) et il étudie aussi le droit romain ancien, le droit hindou, le droit germanique ancien, celtique, chinois…
Et il en arrive à observer que le « don » est permanent, qu’il existe depuis très longtemps et que c’est ce qui tient l’ensemble des groupes et crée des relations entre eux.

Le don au sens de Marcel Mauss

Le don dans nos sociétés contient l’idée de gratuité et de désintéressement mais ce qu’a découvert Marcel Mauss est bien différent ; le don suppose ici des intérêts : de la force, de la domination, du prestige, de la séduction, de la rivalité, et surtout de la socialité – c’est-à-dire des relations entre les groupes et les individus, des interconnexions comme on dirait aujourd’hui. Pour cela, Marcel Mauss parle « d’échange-don ».

Celui-ci prend plusieurs caractéristiques :
Le don est un échange (il suppose une réciprocité) : il s’agit de donner, recevoir et rendre ;
Il sort du cercle intime et familial ;
Il a un caractère obligatoire car…
Il comporte un enjeu (cet échange n’est donc pas désintéressé), il sert à quelque chose : il sert à créer des relations sociales entre les groupes et de la cohésion sociale dans la plupart des cas.

On parle ici de quelque chose qui est beaucoup plus qu’une relation entre deux individus, c’est en fait un système organisé qui concerne tout le groupe humain ou toute la société. Marcel Mauss parle alors de  « système social de l’échange-don ».
Précision importante : cet échange-don n’a rien voir avec le système d’échange économique ou commercial. Il n’a ni les mêmes fonctions ni les mêmes objectifs. Ce système social existe ainsi parallèlement au système économique (le système capitaliste actuellement), il a ses propres règles, valeurs et objectifs – le premier objectif étant de créer des relations sociales entre les groupes humains.

@ Lire également :
2/ Formes, obligations et implications
3/ Le don crée le temps
4/ Aujourd’hui, dans nos sociétés